Enterrer et se taire

Les guerres civiles ont cela de particulier qu’elles font s’affronter idéologiquement différentes fractions de la même population.
Enterrer et se taire

Les guerres civiles ont cela de particulier qu’elles font s’affronter idéologiquement différentes fractions de la même population. D’un côté il y a les tenants du pouvoir en place, de l’autre les républicains. L’autorité ecclésiastique et l’autorité séculière s’allient pour “sauver ces jeunes âmes” en perdition. Ce trafic commandé par la dictature a perduré bien après la chute de Franco. Les désastres de la guerre civile se sont poursuivis jusqu’à récemment… Si dire que la moitié des Espagnols est en train de réaliser qu’elle a été adoptée illégalement par l’autre moitié est excessif, les familles décomposées et recomposées aux grès de cabales de notaires, médecins et religieuses sont légion.

Dans le film d’Anna Lopez Luna, des mères racontent les incohérences du discours des personnes censées les soigner aux moments où elles accouchent, et leur trouble face à l’annonce que leur enfant mort-né ne pourra ni être vu ni être enterré. L’histoire se répète dans différentes régions d’Espagne. Le récit autobiographique perd de sa singularité pour devenir un seul discours polyphonique, retraçant un commerce illégal qui a duré plusieurs générations et a spolié de leurs parents d’innombrables enfants. La plupart étant pauvres, ils étaient jugés comme opposants au régime autoritaire, comme incapables d’élever leurs enfants, ou pouvant se passer de l’un des leurs…

L’énoncé paraît impensable…

Les fameuses Journées Mondiales de la Jeunesse ont, incidemment, permis de rappeler le scandale des enfants volés du franquisme : « L’église était le franquisme » dit un historien qui raconte l’enlèvement de ces milliers d’enfants sous Franco. Une église restée crypto-franquiste qui n’a jamais fait son mea culpa… au contraire. L’historien Ricard Vinyes chiffre à 21 000, rien que pour 1942 et 1943, les enfants enlevés de force à des mères républicaines par le régime franquiste avec l’active complicité de l’église catholique.

Oliver Quique, né en 1965 à Barcelone avait ainsi été « kidnappé » par les sœurs de l’hôpital de Barcelone. « Elles m’ont arraché des bras de ma mère », explique-t-il à l’aube de la cinquantaine. Il vient de l’apprendre de sa vraie maman. Il aura attendu près d’un demi-siècle pour retrouver sa mère et découvrir qu’il est l’un de ces nombreux bébés volés en Espagne sous le régime franquiste.

Une Espagnole a retrouvé sa mère près de cinquante ans après avoir été enlevée à sa naissance, a annoncé la police. « On avait dit à sa mère que le bébé était mort-né ». Elle était l’un des nombreux cas de nouveaux nés dont le régime de Francisco Franco permettait l’enlèvement lorsque les parents étaient des opposants de gauche ou quand l’enfant était né hors mariage. Un décret de 1940 permettait de les placer sous la garde du régime car leur éducation était jugée en danger. Des groupes de victimes affirment que cette pratique a continué après la mort de Franco, en 1975. Aucune loi n’encadrait les adoptions jusqu’en 1987. L’Espagnole, originaire de Valence, dont le cas est le dernier en date à avoir été résolu, soupçonnait depuis longtemps qu’on l’avait enlevée à sa mère à sa naissance. Elle a entamé une procédure judiciaire pour retrouver sa mère et cette démarche a finalement abouti.

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